Ne pas par­ler de la guerre, ne pas écrire sur la guerre. Telle est la cen­sure établie en Turquie. Cette cen­sure s’ac­com­pa­gne pour­tant d’une pub­li­ca­tion inin­ter­rompue dans les médias de pro­pa­gande du régime, allant jusqu’à applaudir aux crimes de guerre en par­lant de “l’opéra­tion sources de paix” au Nord syrien. Un arti­cle de İrf­an Aktan.


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Ceci n’est pas une guerre

Ceci n’est pas une guerre.

Il est inter­dit de nom­mer “guerre”, ce qui se passe. Une déci­sion pertinente.

Ce qui est mené n’est pas une guerre. Tout le monde le sait.

Mais il est inter­dit de dire ce qu’est, cette chose qui n’est pas une guerre.

Il est inter­dit d’écrire, d’en parler.

Si tu écris à pro­pos de la guerre, il est inter­dit d’écrire “guerre”, mais “paix”.

Les avions que nous voyons, ne sont pas des avions de guerre. La bombe sur laque­lle on inscrit les noms de “jour­nal­istes” ne sont pas des bombes.1

Ceux qui se nom­ment “cor­re­spon­dants de guerre”, ne sont pas des cor­re­spon­dantEs de guerre, mais “cor­re­spon­dantEs d’opération”.

Pen­dant longtemps nous avons dit “le jour­nal­isme n’est pas un crime”. Non, le jour­nal­isme est un crime.

Sur le vis­age de celles et ceux qui dis­ent faire du jour­nal­isme dans une époque où le jour­nal­isme est inter­dit, le fard est de couleur kaki.

Mais le temps est leur temps.

Le temps est celui de ceux qui sig­nent les bombes, de ceux qui appel­lent “faus­saires”, les per­son­nes qui refusent la guerre, qui deman­dent la paix,  le temps de ceux qui s’a­dossent à leur Etat, leurs chars, leurs armes et bran­dis­sent l’in­dex, lançant autour d’eux des men­aces, et qui font des ruines un fond pour leurs maquillages.

En deux jours, nous avons pu à nou­veau voir, au milieu de qui nous vivons. Le jour­nal­iste qui s’a­dosse au plus fort, est sol­dat, le juriste, le poli­tique, l’é­col­o­giste, le foot­balleur, le comé­di­en, le musi­cien, le chanteur, même le pseu­do opposant est soldat.

Main­tenant, c’est ça la loi : soit tu es sol­dat, soit tu attires l’ire. Ceux qui n’ont pas peur de l’ire sont dans état pitoy­able, ceux qui en ont peur, c’est encore pire.

Mais il existe tout de même un chemin, pour tout le monde : Par­ler est peut être inter­dit, mais se taire ne l’est tou­jours pas.

C’est pour ça que la honte ressur­git, dans cette époque où ne pou­vant pas par­ler, les vis­ages se tour­nent de l’autre côté, pour par­ler d’autres choses dans “le courant de la vie ordinaire”.

S’il est inter­dit de par­ler de la grande vérité, chaque parole sur un autre sujet, devient une prise d’o­tage opérée par ceux qui cachent la vérité.

Que cela soit inscrit dans l’His­toire : C’est un crime que le pris­on­nier exprime qu’il est pris­on­nier, et même qu’il ne dise pas à voix haute, en hurlant “je suis libre et j’en suis recon­nais­sant”.

Une cita­tion de Niet­zche, que j’ai lue dans mes années d’u­ni­ver­sité est gravée dans ma mémoire : “Toutes les vérités non dites empoi­son­nent”.

Nous sommes empoisonnéEs.

Nous sommes empoi­son­néEs par le fait de ne pas pou­voir dire ce que nous voyons.

Cette année, le Prix Nobel de lit­téra­ture à été don­né à Peter Hand­ke, sou­tien du crim­inel de guerre Miloše­vic. Lui-même serait sur­pris. Passons.

Quant à l’an­née 2016, le prix avait été décerné à Bob Dylan, poète du monde. Et comme Dylan dis­ait sans sa chan­son “It’s Alright, Ma, I’m Only Bleed­ing”, (Je n’ai rien maman, je saigne juste un peu) ; “Et si mes pen­sées — rêves pou­vaient être vus / Ils m’au­raient prob­a­ble­ment mis la tête sous la guil­lo­tine.”  2

Et, que cela soit inscrit dans l’His­toire : Dire que nous sommes sous la guil­lo­tine, est aus­si un crime.

Eh, cela peut nous servir de leçon.

Par ailleurs, les édi­tions Kara Plak ont pub­lié la semaine dernière, toutes les paroles de chan­son de Bob Dylan en turc.

Lais­sons donc la parole au maître, avec ces quelques vers dans la “Bal­lade de Don­ald White”

Et il y a du dan­ger dans l’océan
Où les vagues d’eau salée sont immenses
Et il y a du dan­ger sur les champs de bataille
Où les douilles volent
Et il y a du dan­ger dans ce monde ouvert
Où les hommes s’ef­for­cent d’être libres
Et pour moi le plus grand des dangers
Se trou­vait dans la société

Alors je leur ai demandé de me reprendre
Et de me remet­tre dans ma prison d’origine
Mais ils ont répon­du qu’ils étaient débordés
Et qu’il n’y avait pas de place pour moi

Je me suis age­nouil­lé et j’ai supplié
“Oh je vous en prie, éloignez-moi [du monde]”
Mais ils ne voulaient pas écouter mes prières
Ni rien de ce que j’au­rais pu dire


İrfan Aktan a commencé le journalisme en 2000 sur Bianet. Il a travaillé comme journaliste, correspondant ou éditeur, à l’Express, BirGün, Nokta, Yeni Aktüel, Newsweek Türkiye, Birikim, Radikal, birdirbir.org, zete.com. Il fut le représentant de la chaîne IMC-TV à Ankara. Il est l’auteur de deux livres  “Nazê/Bir Göçüş Öyküsü” (Nazê/Une histoire d’exode), “Zehir ve Panzehir: Kürt Sorunu” (Poison et antidote : La question kurde). Il écrit actuellement à l’Express, Al Monitor, et Duvar.

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