Can Dün­dar et Erdem Gül ont enfin été libérés, après plusieurs mois d’emprisonnement, leur peine ayant été jugée “incon­sti­tu­tion­nelle”. Pen­dant qu’Er­doğan clame ne pas recon­naitre cette déci­sion de jus­tice, à peine libre, Can Dün­dar lui dit mer­ci dans son quo­ti­di­en Cumhuriyet, avec humour et pugnacité, .

Un essai d’article “allié”*, voici des remerciements public à Erdoğan

[allié : à la manière de la presse qui loue le Président]

Cher Prési­dent de République,

Le monde entier sait que nous devons notre déten­tion de trois mois à votre plainte per­son­nelle et à l’obéissance absolue des juges du Tri­bunal Pénal qui ne vous lais­sent pas répéter un ordre deux fois.

Con­cer­nant cette incar­céra­tion, je pense vous être redev­able pour quelques raisons.

La déten­tion man­quait à ma car­rière pro­fes­sion­nelle, grâce à vous j’ai remédié à cela.

Avec la tran­quil­lité de ne pas pos­séder de télé­phone, et d’être écouté, j’ai pu lire tran­quille­ment des livres que je n’avais pas lus depuis longtemps, j’ai écrit plus d’articles que je n’avais jamais écrit et, puisque je ne risquais pas de me faire arrêter par vous, je les ai écrit encore avec plus de sérénité, je ne pou­vais pas faire du sport quand j’é­tais à l’ex­térieur, dedans, j’ai fait les cent pas, j’ai joué au bal­lon. J’ai con­nu des gens et des vies dif­férentes. J’ai “dis­til­lé” suff­isam­ment de matériel pour toute la vie d’une per­son­ne qui écrit. J’ai accueil­li plein d’amis députés et d’avocats que je n’ai jamais vu aupar­a­vant. Tout cela, c’est grâce à vous…

Vous avez fait en sorte que je passe un des pre­miers de l’an, dont je ne con­nais pas vrai­ment com­bi­en il m’en reste à pass­er dans ma vie, en prison ; grâce à cela, vous m’avez rap­pelé qu’un pre­mier de l’an passé avec ceux qu’on aime est précieux.

En nous incar­cérant, vous nous avez préservés de l’atmosphère de guerre civile qui monte dans le pays, de l’épidémie de la grippe porcine, de la pol­lu­tion, de l’hiver et du froid.

Vous nous avez offert le priv­ilège de savoir com­bi­en on est aimés, de ressen­tir le sou­tien qu’on con­nait en général après sa mort ; vous avez créé le pré­texte d’une vague d’attention que nous n’avons jamais revendiquée, et que nous n’avons pas méritée.

Grace à vous, bien que je n’ai pas écrit de livre l’année dernière, dans la liste des meilleurs auteurs de l’année, j’ai devancé Orhan Pamuk, et pris la pre­mière place.

Il ne fal­lait pas vous fatiguer autant….

Vous nous avez accordé la chance de démon­tr­er que tous les jour­nal­istes ne se noient pas dans la piscine1, et que « la chair de tout oiseau ne se mange pas2 »

Nous vous exp­ri­mons notre sincère gratitude…

* * *

A côté de ceux qui sont incar­cérés depuis des années, qui suf­fo­quent dans des lour­des con­di­tions d’isolement, ceux qui subis­sent les procès que vous avez ouvert pour injure, notre déten­tion de trois mois ne vaut même pas un mot, mais en nous met­tant en prison, vous nous avez offert une tri­bune, et une chance d’être leur voix ; pour cela aus­si, nous vous remer­cions particulièrement.

Et, voyez vous, cette affaire des camions des ser­vices secrets, que vous avez voulu cacher au monde entier, en met­tant un cachet de secret d’Etat, dont nous avons ren­du pub­lic l’information, et c’est pour cela que vous nous avez empris­on­nés ; cette affaire, a été enten­due du Japon au Cana­da, de l’Océanie en Indonésie ; tout le monde l’a su; pour cela aus­si tous nos remer­ciements seraient insuffisants.

Mer­ci à votre intelligence.

Est-ce tout ? Nous avons aus­si trou­vé la chance de faire enten­dre depuis notre geôle, partout au monde, l’autoritarisme, le manque de Droit, le dan­ger de guerre en Turquie. Quel pou­voir m’aurait offert la chance d’écrire dans le même mois, dans Guardian, Der Spiegel, Le Monde, jusqu’au Wash­ing­ton Post ? Qui aurait pu faire en sorte que le Vice-Prési­dent améri­cain veuille ren­con­tr­er ma famille, à part votre pouvoir…

Avec le sou­tien de vos tireurs et le vôtre, nous avons pu respir­er nationale­ment et inter­na­tionale­ment, une sol­i­dar­ité pro­fes­sion­nelle dont nous man­quions depuis des années. Nous avons pu rassem­bler des cen­taines de per­son­nes lors des « Tours de gardes d’espoir3 ». Avec notre libéra­tion, nous avons pu entr­er dans une atmo­sphère de vic­toire dont nous rêvions, nous avons pu chanter « filles et garçons ensem­ble4». Mer­ci beaucoup.

Finale­ment, nous vous devons, la dernière déci­sion de la Cour Con­sti­tu­tion­nelle qui dis­ait « Ca suf­fit ! Nous exis­tons aus­si », nous le devons à votre com­porte­ment qui nie le Droit. Nous ne pou­vons pas nier cela.

Nous avions aus­si quelques dettes et dif­fi­cultés à la mai­son. En espérant que les indem­ni­sa­tions que nous recevrons pour arresta­tion à tort nous aidera de les régler, nous vous deman­dons d’agréer notre gratitude.

Cor­diale­ment*.

[Là il y a un jeu de mot. En changeant la première lettre de “Saygılarımla” (avec mes respects) Can Dündar termine par “Kaygılarımla” (avec mes inquiétudes)]

1- EnTurquie, le média “allié” à Erdoğan est surnom­mé “Média de piscine” sous enten­du média arrosé ou car­ré­ment acheté par une cagnotte con­sti­tuée de pots de vins.
2- « La chair de tout oiseau ne se mange pas » Proverbe turque ; on ne peut pas sat­is­faire tous ses appétits
3- Les sou­tiens de Can Dün­dar et Erdem Gül, fai­saient des tours de garde devant la prison de Silivri où les deux jour­nal­istes étaient détenus.
4- “filles est garçons ensem­ble”, autrement dit la mix­ité, très cri­tiquée par Erdoğan et con­sorts. C’est une expres­sion qui vient sans cesse sur le tapis, aus­si bien pour les colo­ca­tions étu­di­antes “qui doivent être inspec­tées pour qu’il n’y ait pas de mix­ité car cet immoral”, que pour les écoles publiques… etc


Traduit par Kedistan
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