L’auteur Ahmet Altan et son frère Prof. Dr. Mehmet Altan, figures incontournables du journalisme en Turquie, viennent d’être arrêtés avec l’accusation d’avoir « annoncé le coup d’Etat, la veille, à la télé ». Cette arrestation intervient sur l’ordre du Procureur Can Tuncay, qui dirige l’enquête sur le coup d’Etat raté du 15 juillet.
Le procureur prétend dans son ordre d’arrestation que Ahmet Altan invité de l’émission de télé « Özgür düşünce » (Pensée libre) émise via Internet, et les animateurs Nazlı Ilıcak (journaliste déjà en état d’arrestation depuis le 26 juillet 2016) et Mehmet Altan, auraient envoyé des « messages subliminaux » concernant le coup d’Etat du 15 juillet, à la veille de la tentative.
Le document soutient la thèse : « Ces intervenants n’auraient pas pu être au courant de ce qui allait se passer le lendemain, sans complicité de pensées et d’action, avec l’organisation terroriste [FETÖ, organisation de Fetullah Gülen], et ils ont donc commis le délit, l’infraction de participer à des opérations militaires. »
Dans les dialogues de l’émission Mehmet Altan s’exprimait :
« Si cet Etat continuait à exister, ce serait une faute. Et à l’intérieur de l’Etat turc, il y a probablement, une structure qui observe et constate ces évolutions, plus que le monde extérieur. Il n’est pas possible de savoir, quand et comment elle va montrer son visage. »
Et Ahmet Altan répliquait :
« Ils parlent de telle façon, comme si Erdoğan restera ici [à son poste] toute sa vie… Erdoğan partira dans deux ans. Les élections arrivent. Personne ne peut savoir ce qui se passera pendant les élections. ». « Il n’est pas possible de savoir ce qui se passera jusqu’à l’année prochaine ».
Mehmet Altan :
« Non, ce n’est pas possible. Si cinquante députés disent, on se sépare et on fonde un parti, tout le système sera secoué. C’est à dire que cet homme ne se tient pas sur un sol solide. Il vit dans un environnement qui le laisserait dans de sérieuses difficultés face au Droit, au cas où les choses changeraient. »
Ces propos seraient donc, non pas des analyses mais des “messages subliminaux”…
Extrait de l’émission du “Özgür düşünce” du 14 juillet 2016
L’intégral de l’émission
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Dans le cadre des enquêtes sur la tentative de coup d’Etat, 42 journalistes avaient déjà été mis en garde à vue. Une partie d’entre eux dont Nazlı Ilıcak, avaient été incarcérés.
Mehmet Altan est né en 1953. C’est un économiste spécialisé dans relation entre la Turquie et le FMI. Enseignant dans le privé, et à l’Université d’Istanbul, il a également publié de nombreux articles notamment à Sabah, Star et Cumhuriyet, dont il fut jusqu’en 1984 correspondant à Paris.
Son frère ainé Ahmet Altan, né en 1950, est un des journalistes les plus renommés de Turquie. Il a été chroniqueur pendant de longues années, pour Hürriyet, Güneş, Milliyet, Yeni Yüzyıl. Accusé de soutenir « la création d’un Kurdistan », il a été exclu de la rédaction de Milliyet, journal nationaliste, pour ses positions à l’égard du peuple kurde. Un des fondateurs et dirigeants du quotidien Taraf, né en 2007, il a été inculpé en 2008, d’insulte à la Nation turque, pour avoir reconnu la génocide arménien. Il a participé à la Fondation Hrant Dink, journaliste arménien assassiné en 2007. Et en 2011, Ahmet Altan reçu le prix Hrant Dink de la Paix décerné aux personnes « qui travaillent pour un monde libre, et juste et qui portent l’espoir et l’inspiration ». Il a démissionné de Taraf en 2012, et revenu au journalisme en 2015 pour le journal numérique Haberdar.
Il a été également inquiété pour ses articles concernant Mustafa Kemal Atatürk, notamment pour un article intitulé “Atakürt”, ainsi que pour ses écrits sur le massacre de Roboski en 2011.
Mehmet et Ahmet Altan sont les fils de Çetin Altan, auteur, journaliste, chroniqueur et homme politique, ancien député du TIP (Parti des travailleurs de Turquie). Il avait été également inquiété. Sur une cinquantaine d’années de vie professionnelle, plus de 300 procès on été ouverts à son encontre, et deux fois condamné en prison, il a été incarcéré pendant deux ans.
Leurs arrestations ajoute deux noms, et pas des moindres, à la déjà très longue liste des journalistes arrêtés, détenus, maintenus sous surveillance, partis en exil, ou condamnés à l’auto censure renforcée. Ces hommes et ces femmes, dont le contre pouvoir par l’information et l’analyse est indispensable à toute société humaine, tout comme ceux qui enseignent aux générations à venir, sont tour à tour dans la ligne de mire du régime.
Qui va encore nous servir après tout ça la version d’une Turquie “en voie de durcissement autoritaire” ? “D’atteintes aux libertés à surveiller” ? “De contrôle parlementaire à exercer” ?
L’hypocrisie doit cesser, et comme on le dirait au Kedistan, il faut appeler un chat un chat !